Yves Pagès – On aurait pu concevoir un spectacle à partir des seuls écrits de Marinus van der Lubbe exhumés dans les Carnets de route de l’incendiaire du Reichstag. Il y avait assez de matières pour nourrir un monologue, mais avec le risque de donner à sa révolte une dimension martyrologique. Autre piste, plus polémique, La Résistible ascension d’Arturo Ui, où Brecht a transposé les étapes de la prise de pouvoir hitlérienne dans les luttes claniques de la pègre de Chicago. L’incendiaire de l’entrepôt du gang des choux-fleurs, un certain Fish, alter ego de Marinus, y fait figure de débile manipulé. D’où l’idée de confronter les textes du jeune chômeur hollandais aux légendes infâmantes qui lui ont survécu. Prétexte dramatique : une troupe s’apprête à jouer Arturo Ui. Levée de rideau imminent, sauf que le comédien interprétant Fish, tyrannisé par le metteur en scène, se désiste. Personne ne se doute qu’il va revenir, en parole et en acte, endosser le rôle de son double originel. Dès lors, la représentation bifurque et remet la figure marginale de Marinus au centre des débats. Ce piratage d’une pièce du répertoire, maximisé entre chaos et lenteur par François Wastiaux lors de la création de Labo-Lubbe (Théâtre des Treize Vents – Montpellier, oct. 2004 ; puis Cité Internationale – Paris, nov. 2005), a paru sacrilège à quelques idolâtres du brechtisme. Malentendu académique, à mon avis hors sujet.